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Inaptitude : le refus d’un reclassement à mi-temps peut justifier un licenciement !

Inaptitude : le refus d’un reclassement à mi-temps peut justifier un licenciement !

La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur la validité d’un licenciement consécutif au refus par un salarié inapte d’une seule proposition de reclassement. Si la Cour d’appel a estimé que le refus d’un poste à mi-temps était légitime en raison de la baisse de salaire, la Cour de cassation censure cette décision et met fin à sa jurisprudence développée avant la réforme de l’inaptitude opérée par la loi El Khomri du 8 août 2016. Cass.soc.13.03.24, n°22-18.758.

Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur a l’obligation de lui proposer un autre emploi approprié a ses capacités. En effet, la sentence de l’inaptitude concerne par principe le poste de travail occupé par le salarié et ne vise pas, sauf exception, tous les emplois dans l’entreprise.

Les faits et la procédure

Une salariée engagée à temps plein comme employée commerciale dans la grande distribution est déclarée inapte après une longue période de maladie. Le médecin du travail a préconisé un reclassement sur un poste de caissière à mi-temps sans station debout prolongée, ni port de charge lourde. Suite au refus d’une proposition de reclassement conforme à l’avis du médecin du travail, la salariée est licenciée pour inaptitude.

Elle saisit la juridiction prud’homale pour contester son licenciement. Déboutée devant le CPH, elle obtient gain de cause devant la Cour d’appel qui estime que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement.

Un refus légitime d’accepter une baisse de rémunération

Pour la Cour d’appel, le refus de la salariée était légitime dans la mesure ou le nouveau poste entrainait une « diminution substantielle de salaire » et donc « une modification de son contrat de travail ».

Mais depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, le régime de l’inaptitude a été considérablement simplifié avec l’introduction au bénéfice de l’employeur d’une présomption de respect de son obligation de reclassement [2]. L’employeur peut en effet licencier le salarié s’il justifie du refus par celui-ci d’un emploi proposé dans les conditions prévues par le Code du travail dès lors qu’il est conforme aux préconisations du médecin du travail.

Ainsi, comment articuler cette présomption avec le droit au refus du salarié concernant le reclassement proposé ? C’est dans ces termes que la problématique est soumise à la Cour de cassation.

Un seul refus peut justifier un licenciement

La Cour de cassation ne s’embarrasse pas d’une argumentation détaillée pour casser la décision de la Cour d’appel en raison d’une violation de la loi : « il ressortait de ses constatations que l’employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail et que celle-ci l’avait refusé ».

Sur la question importante, dans ce cas d’espèce, de la modification du contrat de travail, même si cela n’apparait pas expressément dans la décision, l’avocate générale s’en préoccupe et distingue les deux sujets. Selon elle, le refus de la salariée était bien légitime, en revanche cela n’empêche pas de procéder valablement au licenciement suite à ce refus sans qu’il soit nécessaire de faire des nouvelles propositions de reclassement.

 Ce point restera à confirmer par la jurisprudence lorsqu’un salarié est licencié suite à une inaptitude d’origine professionnelle. Dans une telle situation le salarié bénéficie d’une indemnité spéciale de licenciement au moins égale au double de l’indemnité légale. L’employeur peut échapper à son versement lorsqu’il établit que le refus de reclassement du salarié est abusif (Art. L.1226-14 C.trav.). En cas de refus fondé sur une modification du contrat de travail, il y a tout lieu de penser que le refus ne sera pas abusif.

Cette décision constitue un premier revirement de jurisprudence, revirement malheureusement attendu en raison de la réforme de l’inaptitude. Avant 2016, lorsque le salarié refusait un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, la jurisprudence avait décidé que cela ne libérait pas pour autant l’employeur de sa recherche de reclassement. Il devait  faire de nouvelles propositions s’il avait des postes disponibles [3].

Une jurisprudence moins protectrice des salariés inaptes ?

La réponse est évidemment oui. Mais la Haute Cour se contente de faire une application littérale des nouvelles dispositions légales et il semble que c’était bien l’effet recherché par le législateur. Certes nous pouvons regretter qu’une argumentation n’ai pas pu prospérer sur la distinction entre la notion de poste, très restrictive, et d’emploi, bien plus large. Pour l’avocate générale, si « la notion d’emploi peut cependant, dans certains cas, recouvrer plusieurs possibilités de postes » grâce à la nouvelle présomption, « l’employeur n’a plus à justifier de recherches illimitées, voire non nécessairement pertinentes pour remplir son obligation. »

Il y a lieu de rappeler deux éléments de tempérament :

  • D’abord l’employeur n’est pas libre de proposer n’importe quel poste, le Code du travail précisant que « l’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.». Ensuite pour bénéficier de la présomption, l’unique offre devra être conforme à l’avis du médecin du travail. On comprend dès lors mieux la pratique consistant, comme ce fut le cas en l’espèce, d’obtenir de celui-ci un accord de principe sur l’emploi proposé.
  • Ce n’est qu’une présomption simple, elle est donc écartée lorsque le salarié peut démontrer que le poste proposé ne correspond pas aux prescriptions du médecin du travail ou encore lorsque l’employeur a été déloyal en ne proposant pas un poste disponible qui correspondait aux capacités restantes du salarié et à l’avis du médecin du travail (Cass.soc.26.01.22, n° 20-20.369). Cette preuve n’est pas évidente à rapporter, les représentants du personnel ont à ce titre un rôle important à jouer lors de la consultation du CSE sur les possibilités de reclassement.

Quoiqu’il en soit, l’obligation de reclassement apparait amoindrie avec cette présomption. Un unique refus du salarié n’oblige plus l’employeur à faire de nouvelles propositions, et il peut donc limiter sa proposition à une offre (sauf déloyauté), alors que la jurisprudence obligeait précédemment l’employeur à proposer l’ensemble des postes disponibles appropriés aux capacités restantes du salarié.

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