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Harcèlement moral : l’enregistrement clandestin peut être admis comme preuve

Harcèlement moral : l’enregistrement clandestin peut être admis comme preuve

Le 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a bouleversé le régime probatoire en matière civile en admettant la recevabilité d’une preuve obtenue de manière déloyale. Depuis lors, la chambre sociale s’attache à décliner cette nouvelle jurisprudence.

Par un arrêt du 10 juillet 2024, elle livre une nouvelle illustration de l’admission d’une preuve déloyale : l’enregistrement, réalisé à l’insu de l’employeur, est susceptible d’être utilisé pour prouver des faits de harcèlement. Voyons dans quelles conditions cela est possible. Cass.soc. 10.07.2024 n° 23-14.900.

Faits et procédure 

Dans cette affaire, une salariée recrutée en qualité de secrétaire en 2010, puis de secrétaire comptable, avait été arrêtée après avoir été victime d’un accident du travail en 2013. Elle avait repris le travail dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique en octobre 2014, avant d’être licenciée pour cause réelle et sérieuse en juin 2015.

Soutenant avoir subi un harcèlement moral, elle a saisi le conseil de prud’hommes de demandes tendant au paiement de dommages et intérêts pour harcèlement et licenciement abusif.

Elle affirmait en effet qu’à partir du moment où elle avait repris le travail en mi-temps thérapeutique, elle avait subi une « placardisation » se voyant retirer la plupart de ses tâches pour être affublée uniquement de tâches purement administratives telles que la numérisation de documents et la vérification de signatures.

Avant son licenciement, l’employeur, qui avait la ferme intention de se séparer d’elle, a tenté de lui imposer une rupture conventionnelle de son contrat de travail, la menaçant et faisant pression sur elle. La salariée a enregistré cet entretien à son insu.

C’est précisément la retranscription de cet enregistrement que la salariée a voulu utiliser comme moyen de preuve devant les juges. L’employeur, quant à lui, demandait que ce document soit écarté des débats en raison de son caractère déloyal.

Recevabilité de la preuve obtenue de manière déloyale

Rappel sur l’évolution de la jurisprudence en matière de preuves déloyales et/ou illicites 

En principe, dans un procès civil, la preuve doit en être licite et loyale. Mais sous l’impulsion du droit européen, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence, offrant une place plus grande au droit à la preuve. Dans un premier temps, en 2020, elle a admis la recevabilité d’une preuve illicite (par exemple, l’extrait d’un système de vidéosurveillance installé dans l’entreprise de manière illicite) « lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi »[1].  Elle continuait toutefois de rejeter le procédé de preuve obtenu déloyalement.

Qu’est-ce qu’une preuve déloyale ? C’est une preuve obtenue à l’insu de la partie adverse, par le biais d’une manœuvre, d’un stratagème ou d’un piège (enregistrement téléphonique sans consentement, capture d’écran d’une messagerie privée, filature, traceur GPS, mouchard informatique, etc.) En revanche, ce n’est pas le cas lorsqu’il est évident que les éléments sont enregistrés, comme les SMS ou les messages vocaux par exemple. Dans ces cas, l’employeur est présumé consentant à ce que les preuves soient récoltées et celles-ci peuvent être utilisées dans le cadre d’un contentieux, sans condition[2].

Depuis 2023[3], elle applique un régime unique en présence d’une preuve illicite ou déloyale affirmant le principe selon lequel : « Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. ».

C’est ainsi que l’Assemblée plénière a fixé la méthode s’imposant aux juges du fond quant à l’admission de la preuve illicite ou déloyale : lorsque la demande lui en est faite, il revient au juge d’apprécier si une telle preuve porte « une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence ».

Il ne revient pas au juge de relever ce moyen d’office ! C’est aux parties de soulever le caractère déloyal ou illicite d’une preuve.

Cette admission n’est toutefois pas sans condition. Le droit à la preuve peut justifier une atteinte à d’autres droits à la double condition : 

  • d’être indispensable pour faire valoir ses droits (l’élément produit doit être le seul permettant de prouver le fait allégué) ;
  • que l’atteinte aux autres droits soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Un enregistrement écarté par les juges du fond

Les juges prud’homaux, écartant l’enregistrement des débats, ont débouté la salariée de ses demandes au titre du harcèlement moral et du licenciement. Même sentence pour la cour d’appel qui a considéré que la salariée avait d’autres choix que d’enregistrer l’entretien pour prouver la réalité du harcèlement : « cet enregistrement clandestin, contraire, notamment, au principe de la loyauté dans l’administration de la preuve, doit effectivement être écarté des débats, l’atteinte portée aux principes protégés en l’espèce n’étant pas strictement proportionnée au but poursuivi ».

La salariée s’est pourvue en cassation.

Admission de l’enregistrement clandestin comme mode de preuve

La Cour de cassation n’approuve pas le raisonnement des juges du fond. Rappelant la solution dégagée par l’Assemblée plénière en 2023, ainsi que les règles régissant l’aménagement de la preuve en matière de harcèlement moral, elle casse et annule l’arrêt d’appel.

Pour la Chambre sociale, il appartenait à la cour d’appel « de vérifier si la production de l’enregistrement […] effectué à l’insu de l’employeur, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué, au soutien duquel la salariée invoquait, au titre des éléments permettant de présumer l’existence de ce harcèlement, les pressions exercées par l’employeur pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle, et, dans l’affirmative, si l’atteinte au respect de la vie personnelle de l’employeur n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi ».

En effet, la cour d’appel s’est contentée de rejeter ce moyen de preuve affirmant que la salariée pouvait prouver par d’autres arguments l’existence d’un harcèlement moral sans toutefois préciser lesquels.

Elle aurait dû au contraire vérifier si d’autres éléments de preuve étaient susceptibles de caractériser les faits de harcèlement, et en particulier les pressions exercées par l’employeur afin de lui faire accepter un départ en rupture conventionnelle. Sur ce point, l’enregistrement semble difficilement contournable en l’absence de témoin.

Ensuite, si elle avait considéré que l’enregistrement de la salariée était indispensable pour faire valoir ses droits, elle aurait dû s’assurer que l’atteinte à la vie personnelle de l’employeur était strictement proportionnée au but recherché.

La cour d’appel n’a donc pas rempli son office !

La CFDT se satisfait de cette décision. La Haute juridiction nous offre là une illustration dans laquelle, une fois n’est pas coutume, c’est le salarié qui utilise un moyen de preuve déloyal à son avantage

Par Service juridique-CFDT

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